La blockchain, une solution pour lutter contre la vente de faux médicaments ? © PIXABAY
La blockchain peut-elle, en améliorant leur traçabilité, contribuer à lutter contre les ventes de faux médicaments ? Leur contrefaçon entraînerait la mort de près de 700 000 personnes par an dans le monde, selon les derniers chiffres de l’OMS. Pour combattre ce fléau, une nouvelle directive européenne, qui entre en vigueur cette année, prévoit que les divers acteurs de l’industrie pharmaceutique consolident la traçabilité des médicaments grâce à un nouveau processus de sérialisation. Outre les numéros de lot, dates de péremption…, chaque boîte de médicaments comportera également dans son code-barre (datamatrix) un numéro de série spécifique. Celui-ci sera déposé dans un répertoire informatique européen qui sera partagé aux différents pays. Chaque pharmacien pourra ainsi vérifier l’authenticité de chaque produit en scannant chaque boîte qu’il reçoit ou s’apprête à délivrer.
Pour sécuriser ce processus et suivre la chaîne logistique de chaque médicament plus facilement, certains acteurs misent d’ores et déjà sur la blockchain. Cette base de données décentralisée, en regroupant tous les acteurs de la chaîne logistique et en hébergeant tous les échanges effectués entre ces utilisateurs depuis sa création, permettrait d’aller au-delà des systèmes traditionnels de stockage et d’échanges d’information en matière de traçabilité. Fonctionnant sans organe central de contrôle, elle apporterait transparence et sécurité au processus en autorisant chaque acteur à vérifier la validité des informations contenues sur la chaîne.
Identifier le maillon faible
Fondée il y a 3 ans, la société française Crystalchain s’est ainsi appuyée sur la technologie Ethereum pour travailler sur une blockchain de consortium (à permission), baptisée Blockpharma. Grâce à ce gigantesque tableau de bord, des alertes peuvent être détectées automatiquement. Un nombre anormal de boîtes de médicaments, un datamatrix falsifié… sont autant de motifs qui sont alors remontés à l’acteur concerné. « On ne bloque pas pour autant automatiquement toute la chaîne logistique. Imaginez qu’un grossiste enregistre un million de boîtes et que le système nous fasse remonter que son fournisseur ne lui en a transmis que 500 000. Peut-être est-ce une arnaque, mais peut-être aussi que le fournisseur n’a pas encore enregistré les 500 000 autres qu’il doit lui livrer…, explique Sylvain Cariou, président de la start-up et de la commission de normalisation de la Blockchain au sein de l’AFNOR. L’intérêt de la blockchain est de pouvoir déterminer à quelle étape de la fabrication le problème est arrivé précisément sans avoir à interrompre l’ensemble de la chaîne de production« .
« Contrairement aux idées reçues, l’alerte n’est jamais diffusée massivement, sans contrôle préalable, détaille de son côté Eang Ang Ong, Directeur innovation DivisionServices chez SAP France. Tout dépend de la façon dont on la contractualise. Les smart-contracts – qui permettent de déclencher automatiquement des actions inscrites au préalable dans le fonctionnement de la blockchain – peuvent entraîner un contrôle ou un double contrôle. L’alerte déclenche un contrat qui exécute à son tour un processus de décision dans un laps de temps défini. C’est alors la question de gouvernance que l’on retrouve derrière. Le contrat peut stipuler que le contrôle est délégué à un seul acteur (une autorité de surveillance par exemple) qui va gérer la suite de la chaîne. Ou au groupement de participants qui exécute une série de processus décrits dans le contrat« .
Gérer 60 millions de retours de médicaments par an aux Etats-Unis
Comme Crystalchain, la société américaine SAP mise sur la blockchain pour se mettre en conformité avec la Drug Supply Chain Security Act, une émanation américaine de la nouvelle loi de sérialisation qui entre en vigueur outre-Atlantique en novembre 2019. « Outre le suivi de la production de médicaments, c’est surtout la gestion du retour de produits qui nous intéresse« , insiste le responsable. La blockchain permettrait aux grossistes de vérifier les médicaments sur ordonnance qui leur sont retournés par les pharmacies et centres hospitaliers avant qu’ils ne soient revendus, selon Eang Ang Ong. Un enjeu conséquent : « aux États-Unis, on compte près de 60 millions de retours par an, pour un montant estimé à 7 milliards de dollars« .
Travailler sur l’interopérabilité des blockchains
Développé en partenariat avec les grossistes et industries pharmaceutiques AmerisourceBergen, Boehringer Ingelheim AG & Co. KG, GlaxoSmithKline plc et Merck Sharp & Dohme, le logiciel de SAP est disponible depuis janvier sur le marché américain. De son côté, Crystalchain oeuvre encore pour finaliser sa solution sur le marché européen. « Notre blockchain est en phase de test, mais nous avons déjà regroupé plusieurs partenaires avec lesquels nous avons commencé à travailler : laboratoires pharmaceutiques, distributeurs et ministères de la santé (notamment en Afrique très touchée par la contrefaçon)… Ce qui est compliqué dans ce genre de projet, ce n’est pas la technique, mais de parvenir à mettre d’accord les différents acteurs sur les informations qu’ils vont mettre en commun« , explique Sylvain Cariou.
Positionnée sur deux marchés différents à ce jour, les deux blockchains pourraient un jour se faire concurrence. « Une pluralité d’acteurs est de toute façon préférable pour éviter la centralisation, explique le dirigeant. Le tout, c’est de travailler sur l’interopérabilité de la blockchain, afin que des technologies différentes puissent tout de même communiquer« . « La gouvernance – qui décide des évolutions sur une plateforme distribuée ? – et la scalabilité sont également à l’ordre du jour« , affirme Eang Ang Ong.