[Les experts du numérique] Taxation des GAFA : quand la persévérance devient diabolique
La fronde des « gilets jaunes » a précipité le gouvernement vers la recherche d’un marqueur fort de justice fiscale, en imposant les géants du numérique aux profits astronomiques mais aux recettes fiscales bien maigres pour les États. Face aux échecs successifs dans les discussions à 28 pour mettre en place un dispositif commun de taxation de ces GAFA au sein de l’Union européenne, le gouvernement vient de dévoiler son projet de taxe visant le chiffre d’affaires des acteurs majeurs du numérique, espérant tenter d’impulser la dynamique au sein du Vieux Continent.
Taxer le chiffre d’affaires, une invention française
Les promesses de Bruno Le Maire en vue de taxer en France « la publicité, les marketplaces et la revente de données personnelles » semblent à première vue être tenues, via l’imposition des recettes tirées des prestations de ciblage publicitaire, la gestion et transmission des données et prestations de mise en relation entre internautes.
Les seuils d’application de l’imposition ont été revus et ciblent désormais les entreprises réalisant 750 millions d’euros de chiffre d’affaires mondial sur leurs activités numériques ou dont le chiffre d’affaires excède 25 millions d’euros dans l’Hexagone. La maladresse d’imposer les start-up, notamment françaises, sur la base de leur chiffre d’affaires est ainsi évitée. Sur l’assiette définie vient s’appliquer le prélèvement de 3% du chiffre d’affaires réalisé en France à compter du 1er janvier 2019. Bercy a même accepté la déduction de l’imposition au titre de l’impôt sur les sociétés, coup de pouce aux acteurs locaux qui, en réalité, devraient être peu nombreux.
Voici une taxe qui devrait permettre de générer 500 millions d’euros de recettes fiscales : quelle aubaine pour une imposition dont l’ingrédient principal serait la justice fiscale !
Une « fiscalité du XXIe siècle » à durée de vie limitée
S’il est évident que la France avance plus vite seule, il est aussi certain que cette taxe a vocation à être remplacée de l’aveu même du ministre de l’Économie, « dès qu’il y aura un accord au sein de l’OCDE, ces nouvelles règles fiscales internationales prendront la place de notre taxe française » a expliqué Bruno Le Maire.
Mais pourquoi tomber dans la précipitation, alors même que les 127 États de l’OCDE, se sont entendus fin janvier en vue de réformer en profondeur les règles fiscales d’ici à 2020, pour mieux appréhender la fiscalité attachée aux opérateurs du numérique ? La question mérite d’autant d’être posée que le projet de Loi présenté est loin d’être exempt de tous reproches.
La saga des taxes de 3%
Le ministère de l’Économie assure avoir été prudent lors de l’élaboration du projet de Loi. De là à y voir une réminiscence des déboires de la précédente contribution de 3% (décidément) sur les revenus distribués, contribution finalement invalidée par le Conseil Constitutionnel le 6 octobre 2017, entraînant un enjeu budgétaire de plusieurs milliards d’euros pour l’État français.
Au-delà des questions de compatibilité du dispositif au regard du droit communautaire et des conventions internationales, l’efficacité de cette taxe va reposer sur les capacités des services de l’État à en assurer le recouvrement et le contrôle. L’enjeu de la taxe GAFA est d’imposer une entité qui génère en France du chiffre d’affaires mais ne dispose sur notre territoire que d’une présence limitée, voire inexistante.
Taxer le chiffre d’affaires enregistré dans les comptes d’une entité étrangère, européenne, américaine ou chinoise, c’est partir du postulat que les informations nécessaires au contrôle seront valablement transmises suivant un protocole contraignant faisant au besoin intervenir les autorités fiscales étrangères. La matière première du contrôle représente plusieurs millions de transactions par jour.
Complexité du recouvrement
C’est aussi et surtout imaginer que ces données seront exploitables et pourront être traitées par les services vérificateurs français, indépendamment des normes techniques ou référentiels comptables utilisés à l’étranger. Enfin, c’est envisager qu’une entité étrangère puisse se voir contrainte de verser au Trésor les sommes qui lui sont dues en application de cette Loi. Aucun de ces prérequis ne trouve aujourd’hui de réponse au sein du projet présenté en Conseil des Ministres ce 6 mars 2019.
Les 500 millions d’euros de rendement annoncés semblent illusoires, tant la taxe GAFA apparaît complexe à recouvrer et présente une durée de vie limitée, isolée des échanges internationaux. A peine née, cette taxe pourrait aisément être assimilée à une taxe à faible rendement dont la Cour des Comptes préconise habituellement la suppression.
La taxe sur les services fournis par des grandes entreprises du secteur numérique ne connaîtra vraisemblablement pas le succès de la TVA de Maurice Lauré mais pourrait trouver sa place dans la fable de l’impôt sur les parapluies de Maurice Cozian.
Nicolas Palos, Avocat Directeur, Cornet Vincent Segurel, Membre EUROJURIS
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